La Semaine « de 4 jours », les origines
Au fil des années, la semaine de 4 jours fait son chemin dans les idées, dans l’opinion. Parcourons les différents formats, les expérimentations et les résultats déjà observés.
La genèse
L’idée est fortement discutée depuis 2019, plus particulièrement depuis une expérience chez Microsoft Japon.
Cette année-là, l’entreprise décide une expérimentation : sur le mois d’Août, les salariés ne viendront que 4 jours au lieu des 5 habituels, sans perte de revenu.
La conclusion de cette expérimentation ? Une baisse de productivité ? Non, pas du tout. Microsoft observe curieusement une productivité en forte hausse, de 40%, accompagnée d’une forte réduction des coûts de l’entreprise liés à l’activité.
C’est en effet 23% d’électricité qui a été économisée ce mois-ci par exemple, d’autres économies sont observées comme l’impression de papier (curieusement) ayant diminué de 60%.
Divers facteurs peuvent expliquer ces résultats, tels qu’une hausse de la motivation, de l’implication et une diminution des arrêts de travail et autres burnouts.
Ne tirons toutefois pas de conclusions hâtives, l’expérience n’a duré qu’un mois et de nombreux biais pourraient être dénoncés à partir de cet échantillon de trop faible durée.
Notons par ailleurs l’étude d’Ifop pour Politis de Mars 2024, indiquant que 70% de la population française est favorable à un passage sur ce format. Une telle volonté mérite que le sujet soit creusé.
La suite, des entreprise tentent l’expérience
C’est en suivant ces expérimentations que LDLC, entreprise de e-commerce, décide de tenter l’aventure, mais de manière durable cette fois-ci.
Les avantages paraissent nombreux : meilleure flexibilité, motivation accrue des salariés, diminution des Burnouts et du stress, hausse du moral et de la qualité du travail…
L’équilibre vie privée et vie professionnelle en serait améliorée et chacun pourrait trouver des vocations et pourquoi pas participer au tissu associatif. Le temps dégagé permet également une meilleure égalité professionnelle, favorisant la parentalité pour tous.
LDLC tente donc l’expérience et s’y tient.
3 ans plus tard, les résultats sont probants, l’entreprise enjoint par ailleurs les autres à tester ce modèle.
Nous vous invitons à consulter les écrits et conclusions du fondateur de LDLC disponibles ici: https://osezlasemainede4jours.com/
La France, encore timide dans ses expérimentations de réduction de temps de travail, n’est pas la seule à s’y essayer.
L’Islande voit également des tentatives entre 2015 et 2019 sur un modèle similaire (https://en.alda.is/wp-content/uploads/2021/07/ICELAND_4DW.pdf) avec des conclusions enthousiastes. Ils concluent entre autres une productivité identique voire accrue pour un temps de travail diminué.
Nous noterons l’échantillon très important et qualitatif, incluant plus de 1% de la population totale de l’Islande et dans des cadres et secteurs de travaux divers sur une période longue.
86% de la population salariée de l’échantillon de test a ainsi vu par la suite ce format pérennisé par le biais de négociations, l’expérimentation ayant été considérée comme un « succès retentissant ».
Nous pourrions parler le la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni (https://autonomy.work/portfolio/uk4dwpilotresults/) ou encore de l’Espagne. Les conclusions restent globalement les mêmes.
La semaine « en 4 jours », l’autre format
La semaine de 4 jours semblait bien établie, pourquoi alors est-ce la semaine « en » 4 jours qui est souvent débattue ces derniers mois ? Quelles différences ? Pourquoi ce format ou un autre ?
« De 4 jours » VS « En 4 jours », un mot qui change beaucoup
La semaine de 4 jours n’est en réalité que la résultante d’une diminution du temps de travail, souvent associée à la semaine de 32 heures, ainsi qu’une réorganisation de nos activités, sans perte de salaire. Elle est décrite aussi par « 100-80-100 » dans divers pays pour « 100% de rémunération, 80% de temps de travail, 100% de productivité ».
C’est bien ce format de 4 jours qui est mis en place avec succès chez LDLC et expérimenté chez Microsoft Japon.
Utilisant une sémantique proche mais d’un sens profondément différent, l’idée d’une semaine « En 4 jours » fait aujourd’hui également débat.
Cette idée est radicalement différente et consiste en une contraction du temps de travail sur une période plus courte avec des journées plus intenses.
En gros : faire tout son temps de travail sur moins de jours, avec des journées plus intenses.
L’avantage est de permettre un jour de repos et de liberté supplémentaire, au détriment de journées de travail plus chargées et pouvant empêcher certaines activités personnelles. Il n’est alors plus question que d’organisation des journées de travail.
Les expérimentations du format « en 4 jours »
Ce format a également été expérimenté et souvent relayé par différents media.
Les conclusions sont cette fois… différentes. L’URSAFF, en Mars 2023, propose ce format à ses salariés.
Le refus est massif, seuls 3 salariés sur 200 acceptent de tester ce format proposant des journées de 9 heures de travail, insoutenables dans la durée.
Le 6 Novembre 2024, les salariés de la Matmut refusent également ce format après une consultation lancée en Octobre 2024.
Dans la région île-de-France entre 2018 et 2021, les résultats sont contrastés, parfois considérés bons, parfois mauvais.
Si certains apprécient le format et la possibilité d’exploiter une journée supplémentaire de temps libre, l’équilibre vie professionnelle et vie privée devient difficile à trouver et les journées de travail sont perçues comme fatigantes. La gestion complexifiée de la parentalité est systématiquement citée.
C’est également bien la semaine « En 4 jours » qui est décrite par Valeurs Actuelles, BFMTV, Capital… des media en faveur d’un capitalisme décomplexé, lorsqu’ils parlent de cette TPE qui aurait été liquidée suite à une expérimentation, bien que ces media parlent innocemment de semaine « De 4 jours ».
Nous noterons le manque d’analyse critique concernant les raisons réelles de la liquidation de cette entreprise, cette simple expérimentation ne pouvant justifier à elle seule la faillite de cette entreprise…
Le détournement politique
Vous l’aurez compris : La semaine « de 4 jours » et de 32 heures faisant son chemin et observant de bons résultats, est vite reprise et détournée par la classe politique mettant en avant la semaine « en 4 jours » au centre et éclipsant le débat.
Le terme est détourné, manipulé et la confusion se fait. La semaine « En 4 jours » est citée comme « De 4 jours », provoquant et entretenant sciemment cette confusion.
Qu’importe que les résultats soient au mieux contrastés, le plus souvent mauvais, l’idée n’est plus de donner de la flexibilité et de la liberté aux salariés mais bien d’empêcher une diminution du temps de travail, voire d’en proposer un allongement.
Le détournement du terme est utilisé à des fins idéologiques, à l’instar du terme « Flexitarisme » repris et fortement diffusé (pub télévisée, site internet) par Interbev, lobby du Bétail et des Viandes.
Si le lobby du Bétail et des Viandes cherche à pousser à la consommation carnée, prenant peur d’un courant alimentaire qui commençait à se faire connaitre, la semaine de 4 jours est, elle, reprise par la classe politique libérale prônant un allongement de la durée de travail.
S’il est possible de travailler 9 à 10 heures par jour, il sera alors tout à fait possible de travailler également 4,5 jours par semaine puis 5 jours à nouveau.
Le 23 Novembre 2024, le Sénat suggère d’ajouter 7 heures de travail non rémunérées afin de combler quelques trous budgétaires. L’idée de répartir ces heures dans la durée fait son chemin, et est pleinement compatible avec une semaine « en 4 jours » avec pourquoi pas quelques jours dérogatoires comme celui proposé ou heures à compenser à droite et à gauche le 5e jour.
Le risque d’un retour d’une semaine de 40 heures voire de 48 heures est là, la première pierre est posée.
Comment participer au tissu associatif dans de telles circonstances, d’autant plus avec une durée de travail allongée et des départs en retraite de plus en plus tardifs ?
Quelques mots de conclusion
Prenons garde, ne nous trompons pas de sujet et ne cédons pas aux manipulations.
A l’évocation du sujet de la semaine de 4 jours, posons-nous la question de la cible recherchée et des intentions derrière les mots.
Suite au détournement du terme, parler de « semaine de 32 heures » est-il préférable ?
A l’époque de l’Intelligence Artificielle et de l’automatisme des procédés et des tâches, de l’industrie et des services, le sujet de la réduction du temps de travail est un sujet légitime.
Ce débat ne doit pas être éclipsé tout comme celui de la répartition du travail.
Si nous pouvons travailler moins et mieux, nous pouvons également en profiter pour travailler tous. Nous pouvons également travailler moins longtemps.
En effet, si nous pouvons travailler 32 heures par semaine, nous pouvons également travailler 40 annuités avec un départ possible dès 60 ans à la retraite, favorisant l’accès à l’emploi de la jeunesse.
Si nous produisons tous les ans davantage qu’auparavant par le progrès technologique et l’automatisme de certaines tâches, alors nous pouvons enfin espérer vivre mieux.
Le travail n’est pas un but en soit, la richesse est produite après tout, que l’Homme travaille ou délègue.
Asimov mettait en avant en 1986 le progrès technique et invitait l’humanité à s’en saisir pour améliorer la condition humaine.
Depuis 1945, le progrès social s’est toujours traduit par une réduction de temps de travail. Nous sommes aujourd’hui en 2024, notre temps de travail à l’instar de tous les conquis sociaux sont sans cesse attaqués.
Il est temps d’imposer ce débat.